Identification and analysis of the actors, practices and activities related to Christian finance - Identification et analyse des acteurs, pratiques et activités de la finance chrétienne

2014/01/11

Finance chrétienne - Un potentiel de croissance

D’aucuns ont longtemps douté de l’existence d’une véritable industrie financière catholique ou protestante. Aussi, la très grande majorité des débats doctrinaux, articles et colloques relatifs à la finance éthique religieuse se sont-ils concentrés ces dernières années sur la seule finance islamique. Pourtant, les finances éthiques religieuses chrétiennes existent bel et bien. Une multitude d'acteurs financiers privés et para-financiers attestent de l'existence de la finance catholique et de la finance protestante, ce que démontre clairement le nouveau livre Finance catholique qui recense à lui seul un grand nombre d’acteurs privés (laïcs) et publics (cléricaux). 
 
Les banques et les fonds d’investissement chrétiens sont toutefois généralement de taille très modeste, ce qui peut expliquer ce désintérêt général. Mais le présent article n’a pas pour objet d’analyser les causes de cette indifférence, ni de prouver la matérialité de la finance chrétienne (acteurs, principes, opérations). Il s’agit plutôt ici d’anticiper les futurs débats en avançant des propositions nouvelles sur la question des moyens que le secteur de la finance chrétienne est en capacité de mobiliser pour soutenir son développement.
Nous rappellerons, tout d’abord, les principaux enjeux en partant du constat qu’avec plus de 2 milliards de chrétiens dans le monde, la finance chrétienne possède des réserves de croissance conséquentes, surtout depuis la crise morale de la finance conventionnelle (A). Dans la perspective du renforcement de l’industrie financière chrétienne, il conviendra de proposer plusieurs pistes de réflexion sur les moyens susceptibles d’être mobilisés et les actions à entreprendre sur le moyen terme (B).


A. Les potentialités de la finance chrétienne

  • Plus de deux milliards de consommateurs chrétiens
Selon les estimations publiées en décembre 2011 par l’institut de recherche américain Pew Forum, les chrétiens représentent aujourd’hui un tiers de la population mondiale, devant les musulmans1. La moitié des quelques 2,2 milliards de chrétiens recensés est catholique, 37 % sont protestants et 12 % orthodoxes. Ils se répartissent de façon assez équilibrée entre les Amériques, l’Europe et l’Afrique. Cette dernière a enregistré la progression la plus impressionnante en un siècle, le nombre de chrétiens ayant été multiplié par plus de 60, passant de 8 millions en 1910 à 516 millions en 2010.
Du point de vue de la finance chrétienne, ces chiffres doivent toutefois être relativisés :
  • premièrement, il doit être tenu compte du degré réel de pratique religieuse du consommateur, la finance chrétienne ne pouvant a fortiori s’adresser qu’aux chrétiens sensibles au discours religieux, au premier rang desquels figurent les pratiquants ayant une activité cultuelle régulière et, dans une moindre mesure, les croyants non pratiquants.
  • deuxièmement, la diversité des courants de pensée qui font la richesse de la chrétienté aboutissent à une fragmentation de l’offre, la finance chrétienne pouvant se subdiviser en autant de compartiments que de courants (finance catholique, protestante, orthodoxe, etc.). Cependant, si le banquier insiste sur le caractère œcuménique de ses activités, la finance protestante pourra paraître « catho-compatible » au consommateur catholique et vice versa.

  • Des consommateurs en quête de sens
La crise des subprimes a mis au grand jour le caractère néfaste d’une finance déréglementée à l’excès. Une kyrielle de comportements moralement insupportables (p. ex. bonus exorbitants de certains banquiers, spéculation sur les denrées agricoles, montages dans les paradis fiscaux) ont causé des blessures profondes dans les consciences. Les politiques ont certes réagi avec célérité et de nombreuses réformes ont été entreprises. Néanmoins, gageons que le modèle de la finance conventionnelle orientée exclusivement vers la recherche du profit financier n’est pas près de trouver grâce aux yeux d’une large partie de la population, pas seulement chrétienne.
La crise morale a fait évoluer les exigences du consommateur qui se dirige désormais davantage vers les finances dites « éthiques » qui ne sont pas uniquement lucratives dans la mesure où elles ne cherchent pas exclusivement le profit financier mais incluent, aussi, la recherche d’un profit social fondée sur des critères extra-financiers qui tiennent compte des problématiques liées à l’écologie, aux droits de l’Homme, à la solidarité envers les plus démunis, au respect de la parole divine, etc. C’est ainsi que les finances éthiques, qu’elles soient strictement profanes (finance durable, finance solidaire) ou religieuses (finance chrétienne, finance islamique), ont toutes connu ces dernières années une nette progression de leur chiffre d’affaire.

  • Une finance chrétienne adaptée aux besoins
La finance chrétienne présente des avantages concurrentiels vis-à-vis des autres finances éthiques à la fois pour le consommateur et le professionnel.
Du point de vue du consommateur, la finance chrétienne donne l’assurance que l’argent est utilisé par le banquier à bon escient. Dans le livre Finance catholique, est apportée la démonstration de l’intensité supérieure des exigences de la finance chrétienne vis-à-vis des finances durable (ISR) et solidaire : d’une part, la finance chrétienne reprend les critères extra-financiers des finances durable et solidaire, et d’autre part, elle y ajoute d’autres critères d’origine religieuse. Par exemple, certains investissements centrés sur la protection de la vie sont spécialement prohibés (IVG) ou favorisés (éducation et protection des enfants).
Techniquement, l’épargne peut à la demande du client être dirigée vers le financement d’associations caritatives. Divers procédés sont alors possibles, notamment : le reversement sous forme de donations soustraites du montant des commissions normalement perçues par le banquier à chaque paiement ou virement, ou déduites des bénéfices de la banque en fin d’exercice comptable ; ou l’investissement dans des fonds éthiques chrétiens. S’agissant du prêt à intérêt, aucune prohibition des intérêts ne s’applique, même dans les banques catholiques, contrairement à la finance islamique. En revanche, le taux d’intérêt doit être juste et éviter de conduire au surendettement de l’emprunteur. Par ailleurs, comme toute banque conventionnelle, les établissements chrétiens peuvent proposer les services habituels de banque, d’assurance, ou d’investissement, à des conditions tarifaires équivalentes.
Du point de vue du banquier, il faut mentionner l’avantage que peut procurer le sentiment d’appartenance à une communauté d’intérêts. Ce sentiment naturel est susceptible d’intervenir dans le processus d’adhésion et de fidélisation de la clientèle, à la fois lors de la phase de prospection et pendant la relation d’affaire. Les communications de la banque qui font explicitement référence à la culture chrétienne (sur les sites internet, les prospectus, etc.), voire la publication d’une profession de foi, la capacité du banquier à utiliser le vocabulaire et les connaissances religieuses, peuvent être décisives dans le choix du consommateur chrétien de donner sa confiance et d’établir une relation d’affaire pérenne.


B. Quelques pistes à explorer pour développer la finance chrétienne

  • Synthétiser les principes financiers chrétiens
De nos jours, les banques chrétiennes définissent les aspects éthiques de leur politique d’investissement et de leurs règles de fonctionnement sur la base de leur compréhension religieuse à partir de sources éparses (saintes écritures, tradition et enseignement de l’Eglise catholique romaine pour les catholiques). L’un des principaux écueils de la finance chrétienne actuelle reste l’absence de cadre éthique formel et consensuel. La mise en œuvre à un niveau transactionnel (p. ex. lors de la négociation d’instruments financiers) des principes moraux chrétiens est pour l’heure trop sujette à interprétation. Dans un but de rationalisation, il importe que soit faite la synthèse des principes financiers chrétiens, et qu’ils soient présentés dans une forme adéquate, éventuellement sur le modèle de la finance islamique2.
Cette entreprise de rationalisation requiert aussi un consensus parmi les acteurs de la finance chrétienne (cléricaux et laïcs). Ce consensus pourrait être dégagé dans le cadre d’« états généraux de la finance chrétienne » réunissant professionnels de la finance et religieux, afin de décider ensemble du cadre moral-financier de référence3. A cette occasion, une multitude de publications, cléricales ou laïques, pourraient nourrir les débats : par exemple, les « pistes d’action » publiées en juin 2013 par Justice et Paix - France, les principes élaborées en 1975 par Larry Burkett ou encore les très récents « 7 princificats opérationnels »4.
En outre, l’occasion serait aussi donnée de débattre sur l’opportunité de créer un ou plusieurs organismes certificateurs, à l’instar des comités de conformité charia (sharia board) qui certifient, à travers un label, la conformité des activités financières aux principes religieux musulmans. Un organisme équivalent chrétien, s’il voyait le jour, aurait pour fonction d’assurer la conformité des services et produits proposés par les banques chrétiennes avec les principes financiers chrétiens.

  • Soutenir la création de banques chrétiennes
S’agissant des actions à entreprendre côté professionnel, il doit être déduit de la loi de Say « l’offre crée sa propre demande » qu’il ne peut y avoir de consommateurs de services financiers chrétiens sans banque chrétienne pour les proposer. Or c’est précisément le vide dont souffrent les pays francophones européens qui, aujourd’hui, constituent un des rares marchés à ne point disposer d’établissements de crédit chrétiens5. L’Institut pour les œuvres de religion ou « banque du Vatican » pourrait naturellement avoir un rôle moteur sur ce sujet. D’après les données publiées sur son site inauguré le 31 juillet dernier (www.ior.va), son bilan fait état de 7,1 Mrd EUR. Ce capital représente une somme relativement importante mais pas toujours disponible6. Dans la perspective de créer un établissement en France ou ailleurs, à l’instar des banques catholiques allemandes, l’établissement implanté en France prendrait de préférence la forme mutualiste ou coopérative encadrée par les articles L.512-1 et suivants du code monétaire et financier, et serait placé sous la surveillance de l’ACPR.
Mais le plan de soutien à la création de banques chrétiennes serait incomplet s’il n’était accompagné d’une campagne de promotion active auprès des clients potentiels. On ne peut douter, qu’en l’espèce, la demande génèrera sa propre offre. Aussi convient-il non seulement de mobiliser les professionnels de la finance mais également de sensibiliser les consommateurs aux avantages présentés par les banques chrétiennes. Les diocèses, les ordres religieux et les associations caritatives chrétiennes pourraient, à ce titre, être les premiers acteurs à montrer l’exemple, notamment en déposant leurs capitaux sur des comptes bancaires gérés par des banques chrétiennes. Car il ne faut jamais donner ses perles aux porcs de peur qu'ils ne les piétinent et que, se retournant, ils ne vous déchirent!7


Antoine Cuny de la Verryère, auteur de Finance catholique (EMS, juillet 2013)




1 LOUP BESMOND DE SENNEVILLE, Plus de deux milliards de chrétiens dans le monde, in : La Croix, 20/12/11.
2 Il existe une différence de taille entre la Bible et le Coran. Contrairement à elle, le Coran vise expressément des montages financiers. Par exemple, le salam a été créé par Mahomet pour que les agriculteurs puissent financer leurs besoins de production ou simplement trouver des moyens de subsistance pour leur famille avant leur récolte. Par ailleurs, la finance islamique connaît des interdits clairement définis dont trois qui sont fondamentaux (riba, gharar, maisir).
3 Selon la définition la plus courante, un laïc est un chrétien qui ne fait pas partie du clergé.
4 A.R. Cuny de la Verryère, Finance catholique, edit. EMS, 2013, p. 122 et s
5 Ce vide étonnant peut s’expliquer par les faillites traumatisantes de l’Union Générale (France) et d’André Langrand-Dumonceau (Belgique) à la fin du XIXème siècle ou par des raisons culturelles, une partie de la population française nourrissant une certaine méfiance à l’encontre de l’Eglise.
6 Le bilan de l’IOR fait état de 7,1 Mrd EUR dont 3,1 Mrd EUR de dépôt ce qui est dérisoire en comparaison d’une banque comme la BNP Paribas (1907 Mrd EUR pour 540 Mrd EUR de dépôts).
7 Evangile selon saint Matthieu (7:6).