Selon certaines rumeurs, le pape François pourrait prononcer un discours à Wall Street à l’occasion de son prochain déplacement new-yorkais de septembre 2015. Si ces bruits se confirmaient, cette intervention serait riche de symbole et de sens pour les communautés religieuse et financière du monde entier. Elle aurait lieu presque deux années après l’exhortation du Pape « à la solidarité désintéressée et à un retour de l’économie et de la finance à une éthique en faveur de l’être humain »[2], et donnerait l’occasion de promouvoir l’essor d’une « finance catholique ».
Le développement des finances
éthiques religieuses a connu une accélération sensible lors de la dernière
décennie. Mais en comparaison de la finance islamique, qui s’est fortement
développée pour représenter aujourd’hui plus de 2000 milliards d’euros d’actifs,
les finances chrétiennes, en particulier la finance catholique, sont restées
dans un état plus ou moins embryonnaire. En France, bien que le marché de la
finance solidaire connaisse une croissance continue, depuis plusieurs années, le
secteur des finances éthiques se veut d’essence essentiellement athée (non
religieuse).
Aussi, le retard de la finance
catholique résulte-t-il, en grande partie, de la réticence des instances
religieuses pour avaliser le concept de « finance catholique ». L’expression
« finance catholique » demeure un sujet très controversé si ce n’est
tabou. La raison principale proviendrait du malaise de l’Eglise catholique
romaine sur les sujets liés à l’argent[3],
mais également de sa crainte d’un procès en communautarisme[4].
Cependant, en raison du développement des activités financières catholiques, la
situation appelle à une prise de position claire de l’Eglise. Au cours des dernières années, la controverse française sur le concept de « finance catholique » s’est cristallisée, notamment, à la suite de la publication, en juillet 2013, du livre « finance catholique » laissant apparaître une ligne de fracture entre les partisans et les opposants de ce concept (I). Cependant, dans le même temps, ont continué de se développer les activités relevant de la finance catholique. Afin d’illustrer au mieux le dynamisme de cette niche de marché trop souvent méconnue du public, nous citerons plusieurs exemples concrets et récents (II).
I/ La controverse relative à l’emploi de l’expression « finance
catholique »
A la suite de la publication, plusieurs
commentateurs autorisés se prononcèrent contre la validité de la thèse. Monsieur
Greiner, journaliste chez La Croix, douta qu’il soit opportun pour le Magistère
de l’Eglise de s’engager dans la voie normative servant à l’attribution « d’un label de ‘catholicité’ aux acteurs financiers »[6].
La Communauté Saint Martin objecta, pour sa part, que le concept « finance catholique », pour commode qu’il
soit, serait « inadéquate pour
décrire ce que l’Église catholique entend promouvoir comme type de finance.
Pourquoi ? Parce que les critères mis en avant par l’Église catholique
s’agissant du monde de la finance ne sont pas confessionnels, mais éthiques.
L’explication proviendrait de ce que l’Église catholique, lorsqu’elle s’engage
pour une finance dont l’humain est le centre, le fasse « en tant
qu’’experte en humanité’, comme le disait le pape Paul VI : le but de l’Église
catholique n’est donc pas de constituer une ‘finance catholique’, mais de
promouvoir tout ce qui peut contribuer à réconcilier finance et dignité de
l’homme, par-delà les différences confessionnelles »[7].
Quant à Monsieur de Lauzun, lauréat 2015 du Prix international « Economie et
société », ou s’agissant de la Commission Justice & Paix France, ils n’ont
jamais reconnu l’expression « finance catholique » et, à notre
connaissance, ils ne l’emploient guère.
A l’opposé, la publication du
livre déclencha des réactions favorables, voire enthousiastes. Puisqu’il existe
une « finance islamique », reconnue et soutenue officiellement par
les pouvoirs publics français, pourquoi s’opposer à l’existence d’une « finance
catholique » ? D’aucuns considérèrent ainsi que la thèse soutenue par
le livre était « la première étape
d’une prise de conscience » [8].
Monsieur Boudet, maître de conférences en droit public, concéda dans une note
de plusieurs pages être favorable au concept de « finances
chrétiennes », au pluriel, et ajouta que, nonobstant plusieurs critiques,
le livre constituait un « travail
capital qui dépasse la seule réflexion théologique pour essayer de définir ce
qu’est la finance catholique à travers l’histoire, l’économie, le droit ou la
dogmatique catholique ». Pour sa part, Monsieur Lieven, journaliste
chez La Croix, consacra à mi-mot le concept de « finance catholique »
en employant l’expression avec des guillemets placés sur
« catholique » seulement[9].
Mais la contribution la plus solennelle vint de l’ex-président de la banque du
Vatican (IOR), Monsieur von Freyberg, qui se risqua à employer l’expression
d’un seul tenant, le mardi 8 Juillet 2014, au moment de la nomination du Français Jean-Baptiste de
Franssu pour lui succéder, lorsqu’il déclara en anglais que « tout avait été entrepris pour faire
de l'IOR un fournisseur de services d'excellence dans le milieu de la finance
catholique »[10].
Quoiqu’il advienne de cette
controverse de nature, reconnaissons-le, essentiellement sémantique, plusieurs
évolutions concrètes, significatives et indiscutables ont, entre-temps, vu le
jour qui, dans le secteur des finances chrétiennes, et plus singulièrement, de
la finance catholique, permettent d’attester de leur vitalité à travers le
monde.
II/ Illustrations du dynamisme de la finance catholique
En ce qui concerne la première
banque catholique au monde, la banque du Vatican (IOR), force est de constater
qu’elle a connu un train de réformes inédit depuis l’été 2013. Non seulement,
elle s’est armée d’un site internet, mais en outre elle publie désormais ses
résultats financiers. Et les réformes ne devraient pas cesser : le 8 juillet
2014, l'IOR a annoncé la deuxième phase de sa réforme, les quelques 19.000
comptes de la banque ayant été épluchés. Dans les trois prochaines années, les
statuts de l'IOR seront modifiés et ses activités redéfinies suivant trois
priorités:
-
Renforcer son modèle économique;- Transférer ses actifs financiers vers une société de gestion d'actifs spécialement créée à cet effet (Vatican Asset Management);
- Concentrer ses activités sur le conseil financier et les services de paiement pour le clergé, les congrégations, les diocèses et les employés laïcs du Vatican.
Par ailleurs, le lundi 19 mai 2014, le Père Pascal-André Dumont présentait le lancement de son fonds luxembourgeois Conventum-Proclero afin d’atteindre les investisseurs européens en répliquant la recette des fonds frères lancés en France en juillet 2012 et gérés par la société Meeschaert Asset Management[11].
La banque Oddo, de son côté, a également
créé en 2012 un fonds catholique nommé "Oddo Partage". Dans la mesure
où les revenus distribuables le permettent, chaque porteur de part(s) prend
l’engagement de verser, annuellement, une partie des revenus représentant, au
plus, 1% de la valeur liquidative de chaque part, au fonds de dotation nommé «
Des Pierres et des Hommes ».
Dans le domaine des financements
participatifs, on connaissait déjà aux USA plusieurs sites internet[12].
En France, depuis novembre 2014, existe désormais une plateforme de crowdfunding, nommée « CredoFunding »
et qui a pour objectif de soutenir financièrement, exclusivement, les projets
de la communauté chrétienne compatibles avec la foi et la morale chrétienne[13].
CredoFunding intervient ainsi pour des campagnes de collecte de dons mais
également de prêts avec ou sans intérêts. Les investissements peuvent concerner
les domaines suivants :- Education : école de l’enseignement catholique, écoles hors contrat, catéchèse, patronage, organismes éducatifs, université, scoutisme, crèches;
- Vie religieuse et patrimoine chrétien : réfection d’églises, associations paroissiales, construction de monastères et d’abbayes, chantiers diocésains, communautés religieuses;
- Solidarité et projets : humanitaire, dignité de la personne, financement des études, entreprenariat, défense de la vie;
- Culture et créations : livres et édition, films, musiques, artisanat, spectacles.
A la même époque, l’association OFCCFO mettait en place un label nommé
« Excelsis » pour distinguer les placements financiers chrétiens et
chrétiens-compatibles des autres produits d’épargne et d'investissement[14].
Au début 2015, le Secours Catholique – Caritas France publiait ses
résultats concernant l’octroi de microcrédits au public en difficulté
financière. Depuis 2004, un partenariat avec des banques de crédit a permis
d’accorder 2862 prêts dont 1879 ont été remboursés. Un fonds social de garantie
cautionne ces emprunts. La charge est supportée à moitié par le Secours
Catholique et par l’établissement bancaire. Jusqu’en 2015, il y a eu 293 appels
à caution, ce qui représente un peu plus de 10 % du nombre de prêts accordés. La
majorité de ces prêts ont été accordés à des femmes (1573) et le montant des
prêts s’est élevé en moyenne à 1922 euros[15].
Dernier exemple et non des
moindres, en République Démocratique du Congo, où il a été annoncé, en
septembre 2014, que le projet de création d’une institution bancaire par la
Conférence épiscopale nationale du Congo, grâce à un partenariat avec
l’opérateur téléphonique Vodacom, se précisait[16].
Toutes ces illustrations, dont la
liste n’est pas exhaustive, prouvent, une fois de plus, qu’il existe des
activités bancaires et financières ayant un motif ou un objet catholique, et
que ces activités sont dynamiques et innovantes. Elles ne doivent pas éluder
les activités de la finance chrétienne protestante qui sont à bien des égards
plus nombreuses et plus décomplexées face à l’argent[17].
Pour conclure, il convient de préciser qu’il n’existe pour le moment pas, à
notre connaissance, de finance orthodoxe. Toutefois, selon la presse russe, un
groupe d’hommes d’affaires auraient commencé à travailler en décembre 2014 à la
création d’une banque orthodoxe et d’un fonds d’investissement. L’archiprêtre
Vsevolod Chaplin aurait, dit-on, bien accueilli le projet car il permettrait de
pallier les mécanismes usuraires[18].
Antoine Cuny de la Verryère
Président de l’Observatoire de Finance Chrétienne
[2] L’exhortation
apostolique « Evangelii gaudium » (La joie de l’Evangile) du pape François
rendue publique le mardi 24 novembre 2013 consacre de longs développements à
l’économie (§ 53-60 et 202-208).
[4] François-Xavier
CARAYON, La finance orthodoxe : réponse russe à la crise ?, 29/12/2014, http://www.liberation.fr/monde/2014/12/29/la-finance-orthodoxe-reponse-russe-a-la-crise_1171434
[6] D.
Greiner, Regards chrétiens sur la finance (2), in La doctrine sociale sur le
fil, http://doctrine-sociale.blogs.la-croix.com/regards-chretiens-sur-la-finance-2/2013/09/16/
[8] C.
Auzies, Un premier pas pour une finance catholique, 01/09/2013, http://www.mauvaisenouvelle.fr/?article=monde-un-premier-pas-pour-une-finance-catholique--154
[9] Samuel
Lieven, La finance « catholique » prend de nouveaux visages, 05/01/2015, http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/La-finance-catholique-prend-de-nouveaux-visages-2015-01-05-1262249
[10] "Through this work we have lad
the ground for a new team to make the IOR a truly outstanding service provider
in Catholic finance”
[15] http://www.secours-catholique.org/actualite/microcredit-l-action-du-secours-catholique-recompensee,13696.html
[18] L’idée de la finance orthodoxe, bien
que spirituelle, poursuivrait également une ambition politique pour bâtir un
système financier russe indépendant du monde occidental (Archpriest
Vsevolod Chaplin: Orthodox banking rescue from crisis, 22/12/2014,
http://ru-facts.com/news/view/42460.html)
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