L'Observatoire de Finance Chrétienne invite ses lecteurs à prendre connaissance de l'intégralité de l'entretien accordé par Monsieur Pierre de Lauzun, lauréat 2015 du Prix international « Economie et société » de Centesimus Annus - Pro Pontifice, à Henri de Begard (Le Rouge et le Noir), et dont voici un extrait:
R&N : Comment s’est construite la réflexion sur la finance de l’Église catholique ? L’Évangile ne dit que peu de chose sur l’économie...
Pierre de Lauzun : Bien au contraire l’Évangile parle énormément d’économie, comme aucun texte religieux ne le fait. C’est même une de ses spécificités les plus frappantes parmi les textes qualifiés de religieux dans l’histoire de l’humanité. J’ai analysé dans différents ouvrages le nombre considérable de paraboles qui prennent comme point de départ un sujet économique ou même financier. Je reprendrai ici un seul exemple, d’arbitrage financier : c’est l’histoire de quelqu’un qui a repéré qu’un champ donné contenait un trésor ; cachant cette information, il vend tout ce qu’il a pour l’acheter ; et c’est l’attitude qui nous est recommandée envers le Royaume des cieux. En bref, on vend tout (en prenant un risque), afin d’acheter quelque chose qui vaut plus que ce qu’on le paye, donc dont la valeur intrinsèque est supérieure au prix marchand, lequel ne reflète que la perception de valeur qu’en ont les autres. Ce qui veut dire qu’ils ne disposent pas de l’information qui leur aurait permis de donner à ce bien sa véritable valeur : si en effet le vendeur du champ connaissait l’existence du trésor, le prix en tiendrait compte et il n’y aurait plus d’intérêt à l’acheter. C’est là très exactement ce qu’on appelle en finance un arbitrage.
Bien entendu le message principal est spirituel : dans l’exemple précédent, il s’agit de tourner nos aspirations vers le Royaume des Cieux. Et dans tous les exemples similaires, la rationalité économique est transposée pour expliquer et justifier par analogie des réalités d’ordre spirituel. Mais cela nous conduit à un point important : si la sphère économique et financière est jugée apte à véhiculer par comparaison un message spirituel, c’est évidemment qu’au minimum elle n’est pas en soi mauvaise, et que les réflexes et raisonnements qui y sont mis en œuvre sont ‘utilisables’ ou au moins ‘transposables’ dans la sphère spirituelle, au moins en première étape, et donc ont leur sens. En outre, cela livre des messages sur la logique même de cette activité économique. Sachant qu’à nouveau ce même Évangile nous exhorte énergiquement à dépasser le point de vue matériel et la fascination qu’exerce sur nous ce résumé synthétique de tout ce qui peut nous séduire et tromper, l’argent (Mammon). « Faites vous des amis avec le Mammon d’iniquité ».
Il n’est donc pas surprenant que, comme on l’a dit, ce soit dans le monde chrétien que la réflexion économique soit née et se soit affirmée. En revanche, le fait est que dans la période moderne la réflexion sur la finance, sans être inexistante, est quantitativement très peu développée dans la Doctrine sociale. En un sens, j’ai cherché à contribuer à cette réflexion par mes livres, notamment L’Évangile, le Chrétien et l’argent, et Finance : un regard chrétien, qui a reçu l’an dernier un prix du Vatican.
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R&N : Que pensez-vous du lancement, l’année dernière, de l’indice S&P 500 Catholic Values ?
Pierre de Lauzun : On peut y voir positivement le signal de l’intérêt croissant du public catholique pour la question de l’investissement responsable, au sens de la Doctrine sociale. En revanche, on en reste à un niveau très élémentaire : une classification assez mécanique, largement fondée sur l’exclusion de certaines activités. Il faut bien entendu dépasser ce niveau ; mais pour cela ce n’est pas une entreprise comme S&P qui est la mieux placée, mais des catholiques engagés dans cette réflexion, quitte à s’allier des compétences techniques. A mon sens, des laïcs ou des clercs sous leur responsabilité plus que le magistère, mais bien entendu celui-ci peut et doit vérifier qu’il n’y a pas utilisation anormale du qualificatif catholique. Et plus qu’un indice, c’est une agence de notation éthique catholique (ou plusieurs) qu’il faudrait, et de la gestion active.
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